Le raisonnement, pour simplifier, si j’ai bien compris, est le suivant : il y a obligation d’affiliation à la SS uniquement pour assurer son équilibre financier (vieux problème du « voyageur clandestin »), équilibre qui est par ailleurs une exigence constitutionnelle. Or cet équilibre n’est pas atteint depuis des décennies. La SS ne remplit donc pas son objectif de protection sociale : elle endette indéfiniment l’assujetti qu’elle prétend par ailleurs protéger, lui prenant d'une main ce qu'elle lui donne de l'autre (et davantage même, par la magie de l'endettement !).
Cet angle d’attaque va au cœur du problème. Je doute cependant qu’il soit de quelque utilité devant les tribunaux, qui se soucient moins d’équilibre économique que de la lettre de la loi. Ma conviction est que la faillite complète du système (et celle, concomitante, de l’Etat français) sera beaucoup plus efficace que l’action en justice – et malheureusement beaucoup plus douloureuse !
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Sécurité Sociale : solidarité et équilibre financier
Une nécessité sous condition
Au motif que les États membres de l'Union conservent leurs compétences pour aménager leurs régimes de sécurité sociale, les juridictions françaises jugent que ces derniers peuvent être organisés selon des dispositions spécifiques internes, et qu’ils sont exclus du champ d'application de la directive 92/49 CEE (CJCE, arrêt Garcia, 26 mars 1996).
Étant exclu du champ d'application de cette directive on peut, a contrario, en conclure que les autres directives peuvent être appliquées à l’aménagement du système de sécurité sociale des États.
C’est ce qui a été jugé à de nombreuses reprises, tant par les juridictions communautaires que par les juridictions nationales :
Arrêt KHOL (C.J.C.E., 28 avril 1998) :
« Le Droit Communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale ».
Il n'est donc pas contestable que l'organisation du système de protection sociale des États membres de l'Union apparaît bien visée par les directives européennes.
Et, il s'ensuit, que cette compétence des États membres n'est pas illimitée (arrêt CJCE, Derouin, 3 avril 2008, non encore publié) au regard desdites directives, autres que la directive 92/49.
L'arrêt rendu le 5 mars 2009 par la CJCE en apporte une preuve complémentaire en considérant que les dispositions relatives aux restrictions à la libre prestation des services (articles 49 et 50 du Traité de l'Union) ne sont pas incompatibles avec les activités sociales exercées ou fournies par les régimes légaux de sécurité sociale.
Deux aspects principaux sont examinés par cet arrêt :
- solidarité et obligation d’affiliation
- obligation d’affiliation et équilibre financier
I) Solidarité et obligation d'affiliation
Certes, les États membres peuvent maintenir et conserver un monopole, si celui-ci existe ; ils peuvent imposer une obligation d’affiliation aux caisses.
Certes, ce monopole semble pouvoir être organisé, sui generis, en considérant, par exemple, que
« les URSSAF, instituées par l'article L. 213-1du Code de la sécurité sociale, tiennent de ce texte de nature législative, leur capacité juridique et leur qualité pour agir dans l'exécution des missions qui leur ont été confiées par la loi » (Cour de Cassation, 1er mars 2001)
Certes, enfin, l'organisation de la sécurité sociale semble être exclue du champ d'application des règles communautaires sur la concurrence, motif pris de l’application du principe de la solidarité nationale (Arrêt CJCE, Poucet et Pistre 17 février 1993).
Ce principe de solidarité implique que les prestations servies ne sont pas strictement proportionnelles aux cotisations acquittées (arrêt CJCE Cisal, 22 janvier 2002).
L'article L. 111-2-1 (§2) du Code de la sécurité sociale est l’illustration de ce principe :
« Indépendamment de son âge et de son état de santé, chaque assuré social bénéficie, contre le risque et les conséquences de la maladie, d'une protection qu'il finance selon ses ressources. »
Concernant le financement de la sécurité sociale, L'article 111-3 du Code de la sécurité sociale prévoit que, chaque année, la loi de financement de la sécurité sociale :
« approuve les orientations de politique de santé de sécurité sociale et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale… »
En d'autres termes, les régimes obligatoires de sécurité sociale remplissent une fonction et une finalité sociales :
- constituées par les orientations de politique de santé prévues chaque année par la loi de financement,
- fondées sur ce principe de solidarité, qui a pour corollaire une obligation d'affiliation à une caisse
- et par ailleurs dépourvues de tout but lucratif.
Ces régimes n'exercent, en effet, aucune activité commerciale (voir arrêt B. / URSSAF de Paris, CA Versailles 12 septembre 2006).
Toutefois, cette fonction sociale est-elle, en soit, suffisante pour exclure que l'activité concernée soit qualifiée d'activité économique et échappe ainsi à l'application des dispositions des articles 49 CEE et 50 CEE ? (Traité de l'Union du 25 mars 1957 concernant les dispositions relatives aux restrictions à la libre prestation des services)
C'est la question posée, et réglée, par l'arrêt du 5 mars 2009, rendu par la CJCE.
Sur ce point l'arrêt Cisal précité avait apporté un début de réponse (voir le point 37).
Il confortait un précédent arrêt (CJCE, 26 janvier 1999, Terhoeve) selon lequel le fait qu'une réglementation nationale retienne le financement de tout ou partie des branches de la sécurité sociale , en prévoyant l'affiliation obligatoire, n'apparaît pas de nature à exclure l'application des règles du Traité, et, notamment celles relatives à la libre prestation de services.
L’arrêt en date du 5 mars 2009 (arrêt CJCE Kattner, C 350/07) apporte sur ces différents points des précisions intéressantes.
Le régime d'affiliation obligatoire prévu par la réglementation nationale doit être compatible avec les dispositions des articles 49 et 50 du Traité (voir point 76). Il s'agit d'un principe dont les contours étaient, jusqu'à ce jour, mal définis, mais aujourd'hui clairement reconnus.
En conséquence, un régime légal d'assurance qui prévoit l'affiliation obligatoire, au titre, par exemple, de l'assurance contre les accidents du travail et maladies professionnelles, à certaines caisses professionnelles, n’est pas insusceptible de constituer une entrave à la libre prestation des services au sens de l'article 49 du Traité.
La Cour, dans cet arrêt du 5 mars 2009, examine en effet l'hypothèse selon laquelle un régime légal d'assurance pourrait constituer une restriction à la libre prestation des services par les compagnies d’assurance établies dans d'autres États membres qui souhaiteraient proposer des contrats d'assurance couvrant les mêmes risques et n’opérant pas selon le principe de solidarité.
La Cour indique qu’une telle restriction peut être justifiée dès lors qu'elle répond à des raisons impérieuses d'intérêt général.
Encore faut-il s'entendre sur la notion d' « intérêt général » !
II) Obligation d'affiliation et équilibre financier
L'intérêt général a pour objectif d’assurer l'équilibre financier - d'une branche - de la sécurité sociale, une telle obligation étant propre à garantir la réalisation de cet objectif (voir point 88).
En d'autres termes, l'obligation d'affiliation à un régime légal d'assurance vise à assurer l'équilibre financier, cet équilibre financier étant une obligation propre à garantir la finalité sociale constituée par l'intérêt général.
Des restrictions à l'obligation d'équilibre financier peuvent cependant être envisagées.
La Cour apporte, en effet, une précision particulièrement intéressante concernant la notion d'intérêt général, justificative d'une telle restriction (voir point 84) :
- cette restriction doit être propre à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi ;
- cette même restriction ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le dit objectif.
La Cour considère donc que, même un risque d'atteinte grave à l'équilibre financier du système de sécurité sociale peut constituer, en lui-même, une raison impérieuse d'intérêt général susceptible de justifier une entrave au principe de la libre prestation des services.
Une règle, assortie d'une exception, apparaît ainsi se dégager:
- une règle justifiant l'obligation d'affiliation : l'équilibre financier
- une exception, soumise à contrôle : le déséquilibre financier.
Dans son arrêt du 5 mars 2009, la Cour européenne confirme cette indication en précisant dans l'espèce examinée :
« or, ainsi qu'il ressort des observations soumises à la Cour, une obligation d'affiliation à un régime légal d'assurance telle que celle prévue dans la réglementation nationale en cause au principal vise à assurer l'équilibre financier de l'une des branches traditionnelles de la sécurité sociale, en l'occurrence, l'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles ».
En France, l'obligation d'affiliation à un régime légal d'assurance sociale qui trouve sa justification dans la garantie à l'accès effectif des assurés aux soins sur l'ensemble du territoire (article L.111-2-1 du code de la sécurité sociale), a, pour corollaire, la loi, qui, chaque année, pour parvenir à cet objectif « détermine les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale… » (article 111-3 du Code de la sécurité sociale).
III) Conclusions
En d'autres termes, l'obligation d'affiliation permet de justifier et d'assurer l'équilibre financier du régime de sécurité sociale.
La Cour en conclut que le principe fondamental de libre prestation des services défini aux articles 49 et 50 du Traité de l'Union doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une réglementation nationale tenant plus spécialement à une obligation d'affiliation à un régime légal d'assurance sous la réserve selon laquelle ce régime ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif consistant à assurer l'équilibre financier.
En d'autres termes, l'équilibre financier peut ne pas être atteint.
Mais il revient aux juridictions saisies de vérifier que ce qui est nécessaire pour ne pas atteindre cet équilibre est, ou non, justifié par l'intérêt général.
Au travers de cette décision, la CJCE rappelle avec force que les réglementations nationales sont nécessairement compatibles avec les règles du Traité de l'Union.
Il n'en reste pas moins que, concernant la sécurité sociale française, la loi fait expressément état d'un équilibre financier déterminé et approuvé chaque année, étant observé que « l'équilibre financier de la sécurité sociale revêt le caractère d'une exigence de valeur constitutionnelle » (voir Conseil constitutionnel, décision 18 décembre 1997).
Cet équilibre financier étant gravement en cause depuis de nombreuses années (plus de 10 milliards d'euros de déficit chaque année, et sans doute 20 milliards pour l'année 2009 et 30 milliards pour l’année 2010 !) on peut se risquer à conclure que la sécurité sociale française n'a aucune vocation à assurer la protection sociale des travailleurs et leurs familles.